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Voyage dans les mots
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20 mars 2007

Patrick Drevet (Main)

Main_paume___sintesis

La nudité de la main exhibe plus que la peau et la chair, elle affirme, à l'encontre de tout ce par quoi nous cherchons à nous le cacher, le désir d'une nudité, précisément qui nous mette toujours plus en contact avec le monde, qui nous en offre une préhension toujours plus immédiate et entière, qui nous octroie une « glisse » toujours plus insinuante, et une vélocité qui nous permette du traverser la matière pour accéder aux autres qualités de l'être que nous ne faisons jamais que pressentir.
Il n'est pas de main qui n'en appelle avec sa nudité au contact d'une autre peau. Elle semble toujours se retenir de céder à une attirance. Elle magnétise d'une charge aspirante l'espace au coeur duquel elle se tient.
Elle ne s'y tient jamais longtemps mais ce qui m'obsède en elle n'est pas le geste qui va s'y exprimer en la disposant autrement. Du moins ce n'est pas, dans l'infinie panoplie de gestes possibles, ceux relevant du commerce privé comme se tenir la tête, calmer une démangeaison, tourner les pages d'un magazine, gestes qui ne sortent pas la main de la sphère indïviduelle. La révélant sans l'offrir, ils restent inscrits à l'intérieur de l'aura de la personne.
Ce qui me captive, c'est l'acte transgressif dont la main, avec sa forme serpentine, est non seulement toujours susceptible mais encore toujours plus ou moins animée, ce mouvement qui, n'appartenant pas au circuit continu de la vie individuelle, lui fait crever les soies de l'être pour franchir les seuils et atteindre, dans l'angoisse propre à cet élan, l'objet de désir.

[...]

C'est alors que la main apparaît le plus nue, le plus vulnérable, mais faite pour cette nudité et cette vulnérabilité-là. En l'aventurant hors du cocon de l'individualité, son geste la dépouille des uniformes de ses fonctions. Il la dessertit de ses cals protecteurs. Il la déshabille encore pour ne lui laisser plus que sa sensibilité. Écorchée vive, elle apparaît dans la tâche essentielle qu'elle est habilitée à assumer pour l'individu qu'elle précède en éclaireuse dans les autres mondes.
C'est avec la même fébrile retenue que je vois celle de cet homme, dans le métro, franchir la distance qui le sépare du bras de son amie, tout proches qu'ils soient l'un et l'autre. Elle s'avance, nue, ingénue, vers la douceur qui l'attire, puise dans sa dextérité le coup d'aile élégant avec lequel elle écarte la mèche tombée sur le visage de la femme, use de l'hypersensibilité de leur pulpe pour recueillir du bout des doigts les frissons que leur effleurement engendre le long de la tempe, de la joue, du menton, des lèvres et, dans la stupeur un peu ivre de l'émoi qu'elle provoque, de l'attente qu'elle suscite, de la rencontre où elle est engagée, elle se pose enfin, alourdie des sensations démultipliées qui se concentrent en elle, sur l'épaule, dont la brûlure d'abord glacée aussitôt se diffuse et se mêle à 1a sienne.
Main inspirée d'une audace que la conscience n'a pas, résolue à braver ce qui dépasse l'imagination, avide du réel où elle entraîne après elle toute la personne. Main experte dans le langage du corps. Pour le capter, elle a avivé la finesse de son épiderme devenu une membrane aussi sensible que le tympan, s'est maillée de terminaisons intensément réactives. Mains pressantes, persuasives, bûcheuses des amants. Parcourant les étendues incommensurables du corps, elles en abattent les défenses, en soulèvent les couches de protection accumulées, en réveillent les zones indurées par la vacance, en fertilisent les pans inertes, en cultivent et entretiennent les éclosions.

in, « Paysages d'Eros »

Photo Sintesis

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