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Voyage dans les mots
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19 mars 2007

Erri De Luca

Erri_de_Luca

L'alpinisme et l'écriture sont pour moi des temps de fête. Ecrire n'a jamais été pour moi un travail. Au contraire, le temps de l'écriture est un temps que je sauve quand la journée de labeur est terminée. Grimper me procure un désert provisoire. J'aime le désert. Il me parle, mais je sais que je n'en suis pas un résident.

J'aime les Ecritures saintes que j'ai traduites de l'hébreu ancien, mais n'étant pas croyant je ne suis pas, là encore, un résident des textes sacrés. J'y suis de passage. La haute montagne est aussi pour moi un désert. Elle m'attire parce qu'elle est vide de nous. Je n'escalade pas pour me rapprocher de l'infini ou d'une quelconque divinité, mais pour m'éloigner, me détacher de moi-même.

La montagne est pour moi une surface. On monte sur une surface, fût-elle verticale, on ne creuse pas. Je suis alpiniste, pas spéléologue. Quand je nage dans la mer, je ne plonge jamais. Je suis quelqu'un qui, sur la mer, la neige, les rochers ou l'Ecriture sainte, reste à la surface. Quand on escalade une paroi, on est à quatre pattes et on retrouve notre allure primitive. La tête est au ras du sol. Elle n'a plus la même importance. Quand on est debout, la tête domine tout.

L'escalade est une fête parce que personne ne vous envoie en haute montagne. Chacun est un envoyé de soi-même. C'est un monde gratuit. Le contraire du monde du travail. C'est l'endroit où je préfère gaspiller mes forces jusqu'à la quasi-extinction de mes ressources physiques. L'escalade, c'est la vidange totale des énergies afin qu'elles se reproduisent ensuite en soi.

Le travail d'ouvrier ou de manoeuvre, c'est le gaspillage d'une énergie vendue. Il faut apprendre à l'économiser pour pouvoir retravailler le lendemain. C'est une école de la résistance et de la discipline. Quand on fait un mouvement maladroit, on gaspille de l'énergie. En revanche, si le mouvement de faux ou de pioche est fait avec style, on l'économise.

L'élégance, la beauté du geste, c'est la combinaison du minimum d'effort et du maximum d'efficacité. La beauté du geste est le résultat de l'intelligence physique, ce n'est pas une coquetterie du corps. Tout ce que j'ai appris, je l'ai appris avec mon corps. Je suis ni cérébral ni spéculatif. C'est pour cela que je reste à la surface.
Les profondeurs, ce n'est pas mon monde.

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