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Voyage dans les mots
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19 mars 2007

Jacques Drillon 3

On raconte qu'un jour Michelangeli avait été invité à une soirée par une riche femme du monde; il était assis dans un coin, et buvait un verre. Arrive son hôtesse : "Cher Maître, voyez-vous ce piano, là-bas? C'est un Steinway tout neuf il n'a jamais été joué. Voulez-vous me faire l'honneur de l'inaugurer en nous interprétant quelque chose? " Michelangeli se lève, et lui tend un billet de banque : " Madame, je préfère encore payer mon whisky."

*


Pire que tout, l'ennui (Khovanchtchina, de Moussorgski)
Parfois, le fil craque. On ne comprend plus ce qui se passe, pourquoi on est là, pourquoi ces gens hurlent sur une scène, pourquoi c'est en russe, pourquoi il faudrait rester. Ce n'est pas la faute du spectacle, ou du moins pas uniquement sa faute. Il arrive que la musique vous prenne par les cheveux : bon gré mal gré, il faut la suivre. Ainsi, Bruckner. II arrive qu'il faille la comprendre: Bach. Il arrive aussi qu'il soit indispensable d'aller vers elle, de faire le premier pas, d'engager le dialogue: les études de Debussy.
Il arrive enfin que rien ne se passe.
Soudain, tout s'effiloche. On ne veut plus respecter les conventions; la lumière qui sourd faiblement devient écoeurante, ce type qui gesticule est grotesque, cette foule silencieuse et noire n'est composée que d'ennemis. L'ennui devient furieux, irrépressible. Il monte comme un larsen, jusqu'à siffler dans les oreilles.
L'ennui est une chose terrible : il ne connaît que lui. Alors, c'est pis que les dimanches après-midi de l'enfance, que les repas de noce, pis qu'une conférence sur Jakobson. On ne pense plus qu'à cela : sortir.
Sortir n'importe quand, tout de suite, au milieu d'un acte, sentir la pluie vous fouetter le visage, voir les taxis sur les quais, et les grandes brasseries éclairées. Le reste n'a plus d'importance. Les autres peuvent bien continuer leur existence de moules, sur leur siège : ils n'existent pas.
Parfois la musique est une pâte qui vous étouffe et vous brûle. Plus on cherche de l'air, plus elle s'enfonce dans les poumons. De quoi se mêle-t-elle, nom de Dieu? Pourquoi la supporter? Vieille maîtresse, vieille peau, sale manie.
Peut-être ce spectacle était-il excellent, comment le savoir? Après tout, qu'il l'ait été ou non... La musique qu'on n'aime pas est celle qui vous fait du mal, a dit Stockhausen.

In, "De la musique"

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