Régine Detambel
Parce que cela n'est pas facile d'écrire et de lire devant tout le monde, d'être délicieusement malmené par ses propres images littéraires ou par ses révélations et celles des autres. ( ... )
Lorsque le texte est écrit, et que chaque participant le lit alors à haute voix, il est attentif au moindre changement d'expression de ses auditeurs, il guette les réactions imprévisibles du groupe.
Il a pris le risque de dénuder sa voix intérieure jusqu'à devenir tout à fait vulnérable.
Il se lit, les autres l'écoutent ou non, il n'en sait rien et il ne peut pas s'en assurer.
Deux ou trois fois, il s'enroue. Il n'a pas la force de se racler la gorge. II faudrait s'interrompre pour cela. Il ne peut pas s'arrêter de se lire et comme sa sensibilité est extrême, il a les yeux qui pleurent.
Dans le silence inexplicable, il entend enfin sa vraie voix, sa voie foetale, sa langue maternelle, des phrases tout humides de lui-même et noires de son fonds.
Certes, le groupe entend le texte, il le démêle, il sourit intérieurement mais ce qu'il entend bien plus profondément c'est la voix nouvelle, qui a accepté de se dépouiller, la voix originelle qui affleure, le ton inconnu, la nouvelle caisse de résonance, l'invention de luthier, la nudité enfin trouvée et que, tout à l'heure, se lisant, chacun expérimentera à son tour.
In, "Tous les mots sont adultes" - François Bon