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Voyage dans les mots
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16 mars 2007

Sophie de Meeûs

violoncelleSophie a bien voulu répondre aux questions suivantes :

Ton rapport avec
- la matière
- les gestes, les outils
- le résultat

Le bois a-t-il une âme ?

Les sens :
- le privilégié
- le plus utile
- le plus laboureur intime

Le regard,
- le tien, sur l'oeuvre des années après
- celui d'autrui

Les regrets, les projets, ta réalité ?

Et aujourd'hui ?

Qu'est-ce que cela a fait évoluer en toi ?
- affiner
- grandir
- confirmer
- perdre, mourir
- donner naissance...

Et tout (presque tout) qui vit, bouge, vibre, palpite en toi par rapport au bois ?

Réponse de Sophie :
La « Rencontre » dans le travail du luthier . . .

Rencontre avec lui-même :
De la naissance de l'oeuvre à son achèvement, le luthier chemine avec lui-même dans la solitude et le silence qui un jour deviendront musique.
Défi du chef-d'oeuvre qui parlera à l'âme, invitation au voyage : la passion l'habite, l'invite, l'aiguillonne, le grise.
Face au défi, il ne lui est pas possible, lors de la réalisation de l'instrument, de préméditer ce qui tient du travail intuitif, aimant, irréductible à toute équation.

L'esprit, l'intuition, la main, le rêve - ses forces vives sont tout éveil.
Variables qui échappent au contrôle et signent l'acte unique, libre.

Rencontre avec le bois, les sens :
Lorsqu'il choisit le bois dont il se fera complice, le luthier est silence ;
tous les sens y participent : il regarde, saisit, touche, écoute, pressent, discerne ;
ensemble ils font le pari de la beauté, de la grâce sonore, de l'infiniment précieux.
Rencontre sensuelle, toute de respect pour ce bois encore inconnu.

Le bois a-t-il une âme ?
Chaque arbre est unique, dans sa densité, son élasticité, le dessin de ses fibres;
chaque bois a sa couleur sonore, son timbre très unique ;
choisir les pièces qui deviendront l'instrument, les assortir sur le plan visuel et surtout sonore
relève d'une approche à la fois analytique et intuitive;
avoir un coup de coeur pour ce bois-là qui deviendra musique.

L'outil est là.
Charnière entre le projet et le réel, il concrétise le rêve;
celui-ci réalisé est étonnement parce qu'il est autre, neuf, vivant ;
rencontre alors avec ce qui m'échappe, me glisse entre les doigts,
une vie qui ne se laisse pas définir, enchâsser, enclore ;
liberté, rencontre avec l'altérité.
L'outil prolonge l'être tout entier vers cette matière que peu à peu il amadoue, fait sienne,
dans un peau à peau - celle de mon être intime et celle de ce sapin subtil et satiné,
celle de cet érable brillant, cassant, exigeant, pur.
Le rabot tantôt caresse, tantôt se heurte corps à corps.
Délicats dénivelés, ondes, vagues, dunes, chatoiement,
doux crissement de l'outil bien affûté qui entaille le bois en souplesse,
la main, la gouge et le bois ne sont plus qu'un.

Rencontre avec l'oeuvre achevée :
Le violoncelle - ce grand instrument - est là, achevé.
Toute grâce, élégance, fragilité, sensualité.
Cadeau infini de cet aboutissement.
Sentiment d'un si long voyage... traversées désertiques, rocailleuses ponctuées d'émerveillements face à l'harmonie d'un détail, de respirations utiles au regard qui reprend élan.
Se reposer enfin, déposer l'outil, le pinceau.
Répit.

Etonnement, premiers pas, balbutiement de l'instrument ...
Inquiétude, surprise ...

Joie du musicien qui découvre l'instrument,
se cherche dans cette nouvelle relation, se reconnaît dans la rencontre.
Pour le luthier, défi relevé qui déjà pose de nouvelles questions, se relance lui-même.

Ce que cela a fait évoluer :
Les innombrables heures d'atelier, la silencieuse solitude du luthier à l'établi sont chemin de patience, d'endurance, de fidélité.
Suprématie de l'être sur le paraître.
Sentiment de plénitude : à l'heure du travail, le bois l'outil et le luthier se suffisent à eux-mêmes.
Invitation permanente à l'au-delà de soi, dans une détermination paisible.

Mon regard des années après :
Attendri, admiratif de cette volonté, patience, endurance ;
Mon regard reste étonné par l'aspect si impérieux de cet appel.

Mars 2004

(Tout ce qui précède se rapporte au travail du luthier lorsqu'il crée un instrument et non lorsqu'il s'adonne à une restauration ou à un réglage.)

Merci Sophie

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