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Voyage dans les mots
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14 mars 2007

Patrick Drevet (Peau)

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La peau la dernière touchée est toujours la première. Elle efface le souvenir des peaux caressées avant elle. Elle s'approprie les sens qu'elle n'avive que pour elle.
Passé les remous engendrés par la collision de nos couches respectives, ces mouvantes condensations d'exhalaisons impalpables en suspension à la surface de nos corps et qui les gainent, alors, sous l'impact de la paume, cette laque de douceur figée qui ne s'attendrit que peu à peu à la prière qui lui est faite, à l'assurance dont on la couve. On a beau connaître la personne avec laquelle on couche, avoir déjà franchi bien des fois avec elle les frontières de l'intimité, s'être débarrassé de ses défenses et avoir su faire tomber les siennes, être entré en elle dans cet inconnu qui ne devrait plus en être un, au moment précis où les peaux des corps dénudés sont sur le point de se toucher, la terreur initiale resurgit, c'est toujours la première fois.
Non sans la hantise de me dissoudre dans l'illimité de la tendresse où elle me plonge, j'enlace une douceur dont la fluidité me fuit. J'enserre entre mes bras des reptations noueuses qui s'y blottissent et s'y dérobent. Ensorcelé par les sensations qui fusent de cette peau dont je ne sais plus si je la presse ou si elle m'enveloppe, je n'arrive pas au bout de l'étonnement que me donne son pouvoir de m'envoûter.
J'aspire à me fondre dans la conscience que je prends d'elle.
Mes lèvres participent à ces relevés qui les exigent dans les zones où la finesse de la peau échappe à la pulpe même des doigts. Le voile des paupières leur livre sa consistance de pétale, les tempes leur ténuité duveteuse, les oreilles l'empois délicat de leurs spires, les pommettes et les joues leur satin ouatiné, et les lèvres leur friselis mouillé et tiède.
C'est avec la bouche aussi, assurément, que l'on touche au plus près à la succulence de la peau qui tapisse les sexes, point au centre du corps où il semble qu'elle ait été amenée à donner sa quintessence, y élaborant ce qui ne saurait être plus sublime en matière de tissu.
Je voudrais n'en finir jamais. Dans l'étreinte, les baisers et les caresses en appellent toujours d'autres. Le plaisir ne s'apaise pas dans son épanouissement, qui ne cesse au contraire d'en accroître le désir. La peau ne se résout pas à se séparer de l'autre peau. Elle cherche indéfiniment à se tapir dans la nuit des pressions qui comblent la béance immense de sa nudité, la soustraient à la glace du vide qui se reconstitue autour d'elle aussitôt qu'elle est détachée de l'autre. Il ne lui est pas possible pourtant d'y rester abouchée. A vouloir prolonger le contact, la sensation s'atténue, s'engourdit, disparaît. Les peaux conjointes s'endorment, soûlées d'elles-mêmes. La caresse fait jouir parce qu'elle se retire. C'est dans son reflux, alors que les sens attisés s'aiguisent à l'attendre, que sa jouissance se fait la plus forte.

In, Paysage d'Eros

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Commentaires
D
C'est trop beau...C'est bien écrit, j'y passerais ma nuit.<br /> Merci. Je reviendrais!
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